t e x t e s


C a r e s s e s   d e s   f r o n d a i s o n s
P a u l   R i p o c h e



L e   t e m p s   t r a v e r s e
P h i l i p p e   B r u n e l


l e   p r e s q u e   r i e n   d u   p a p i e r
P h i l i p p e   B r u n e l



S a n s   t a p a g e
P a r a d o x e s   d e   l a   d i s c r é t i o n

Chez Claire Borde la juxtaposition des plages d'aquarelle et des tracés floraux condense un semis coloré, doux, délicat et fin, comme en lévitation au dessus du support, constituant paradoxalement, par accumulation de menus éléments, fétus ou brindilles au fil du courant, un réseau ou un champ coloré discret jusqu'à faire surface. Ses couleurs jaunes pâles ou verts très légers sont l'indice d'un rapport au végétal, à la floraison ou aux frondaisons. Le mouvement de sa main, ni automatique ni volontaire, qui s'oublie à la caresse de la surface, rejoint le tracé des végétaux ; une "écriture d'herbe" comme disent les Orientaux. Ce murmure graphique de Claire Borde, par petits dépôts successifs, conjugue "le peu et le rare", comme l'évoquait Roland Barthes de Cy Twombly, et en vient à communiquer par percolation un frisson d'énergie à toute l'étendue picturale, créant un sentiment d'illimité malgré l'intimité, de densité, malgré la fragilité.

F r a n ç o i s   J e u n e 



E n   s u b s t a n c e


L’ eau est la métaphore du processus de recherche de mon travail. Sans forme, elle me permet d’expérimenter une peinture non représentative. Par ailleurs, se définissant par ce qui l’entoure, l’autre versant de ma pratique se fait paysager. 

Il est une sorte de contradiction, que de vouloir donner une forme à ce qui est défini par une mouvance ou dont la limite dépend d’autre chose que d’elle-même : voir à la surface des eaux limpides se refléter le ciel et les éléments du paysage, et dans la transparence les roches, les herbes... Là, dans la noirceur des ombres où se mêlent les reflets et les profondeurs, apparaît un espace qui n’est ni ciel, ni terre, ni l’eau elle-même, mais un univers mystérieux qui ne possède pas de limites et semble vouloir s’ouvrir à l’âme. 

Depuis cette étendue qui trouble la vision, des images flottent entre l’air et les reflets, en un jeu de lignes et de «flaques de couleurs» - comme l’aimait à écrire Yves Bonnefoy. 

Les peintures que je présente ici sont des évocations des qualités de l’eau. La fluidité se traduit par un enduit lisse comme un papier de soie et par la matérialité de l’huile employée diluée, les glacis suggèrent la transparence et leur superposition la profondeur, les mouvements du corps au dessus de la toile posée au sol transposent ceux qui se perçoivent à la surface de l’eau. 

Dans une forme propre à ce médium, la gravure reprend le motif de l’eau. Elle en extrait les seuls reflets, qui échappent à la prise, manifestent l’immatériel, et lui donne, avec le gaufrage, une matérialité palpable, tactile. Par inversion, la gravure «reflète» les ombres en ses creux. 

Les phénomènes perceptifs à l’oeuvre dans les champs investis, peinture, gravure, dessin, dialoguent en opposant ou associant des espaces pleins ou silencieux, des tons de faibles ou de forte intensité, l’affirmation de la planéité et la superposition de plans pour créer une profondeur et jouer des espaces de représentation... 

La texture de la peinture détermine la nature de la vision, matière du rêve, songes de lumière ou de son mystère. 

C l a i r e   B o r d e



C o m m e n t   p e i n d r e   u n e   b u é e   ?

Comment peindre ce qui n'a pas de forme propre, un brouillard, une buée, une nappe d'eau emplie de reflets changeants ? "Comment peindre le vent "? La branche d'un arbre perdue dans la brume ou peut-être entraînée dans le cours d'une rivière ? Un je ne sais quoi "émergeant-s'immergeant, entre le il y a et il n'y a pas" (1) ?
"Chercher entre deux flous, deux indéterminations, la mise au point qui ne s'attache à rien et voir ainsi un espace entre, espace intermédiaire." (2)


Ce que l'on voit sur la toile est-il une trace apparaissant dans une buée ou s'effaçant dans la pâleur d'un fond où elle se dilue ?

"Vouloir donner une forme à ce qui est défini par une mouvance ou dont la limite dépend d'autre chose que d'elle-même."


Quel pinceau sera assez disponible, quel geste sera assez délié pour suggérer un objet sans le déterminer avec précision, pour l'évoquer sans le fixer dans une forme établie, pour que sa présentation sur la toile coïncide avec son évasion ?

"Les dessins sont des échappées, des souffles."


Comment saisir une aube ? Le matin d'une lumière changeante au gré du mouvement des astres et du balancement des feuilles sur l'eau glissante d'une rivière ?
"La beauté est-elle le coeur des choses ?"


Et quelle est cette émotion que l'on sent poindre tandis que la promenade s'égare parmi les reflets dont on ne sait si ce sont les accents du présent ou les résonances d'un souvenir d'enfance ?

"J'étais devenue nulle part."


1- François Jullien, La grande image n'a pas de forme, ou du non-dit dans la peinture, Le Seuil, "L'ordre philosophique", 2003, p.19.

2- Les citations en fin de paragraphe sont extraites des Notes de Claire Borde

N e m a   R e v i ,     i b a n t . n e t ,   " C o m m e n t   p e i n d r e   u n e   b u é e   ? ", 
M A G   8 ,   d u   1 3   j u i l l e t   a u   4   a o û t   2 0 1 0



C l a i r e   B o r d e   e n   t a i l l e - d o u c e 


L'artiste Claire Borde semble animée du souci de ne pas altérer sa perception si pudique du monde, et moins celle des choses qui habitent celui-ci, que celle du vide qui les sépare tout en les reliant, et qui en définit non seulement l'écrin ou les confins, mais plus essentiellement le souffle, le respir ou le soupir.

Essentiel est en effet pour elle cet usage de la blancheur qui respire, et révèle l'essence secrète des formes dans leur doux et tressaillant métabolisme. A la façon de l'esprit du Tao qui anime les grands éléments, elle dissout la solidité des choses et des caractères individuels pour déceler la part de la vacance et l'intervalle où leur âme trouve à se mouvoir et à échanger. Et c'est pourquoi, ce qui prédomine ici en puissances vitales et vivifiantes sont l'air et l'eau, c'est à dire les puissances irréductibles au lieu et à la saisie, mais douées d'une essentielle fluidité, aussi invisible que vivifiante.

Il y a là appel à un art du silence, comme on le recherche musicalement dans l'incantation à la flûte du Japon ancien, mais aussi dans les préludes de Debussy, ou d'avantage peut-être dans "le catalogue d'oiseaux" d'Olivier Messiaen.


Et en effet il y a comme une analogie entre l'emblème de l'oiseau chez l'ornithologue méditatif ou le compositeur éolien qu'est Messiaen, et ce qui inspire le geste créateur et le style de Claire Borde : car c'est bien à brefs et prudents pas d'oiseau que cette artiste approche ses compositions, elles-mêmes aussi frêles et précises qu'une aile d'oiseau. Et quant à son trait, il a la finesse d'une empenne, et son tracé aéré et suspendu, la légèreté d'une trace d'oiseau à fleur de sable.


C'est assez dire comme dans cette oeuvre, dont beaucoup de pièces relèvent d'un format de miniature alors même qu'y circulent les amples puissances du souffle, du silence et du vide cosmique, tout est essentiellement pudeur, délicatesse et retenue.


Et pourtant, ce macrocosme qui semble tourner le dos aux rumeurs du monde prosaïque, cette sagesse du retrait qui ignore tout anthropomorphisme, cet apparent éloge de l'insignifiance des formes, ne déserte pas pour autant les signes et échos de l'humain.


Mais ici encore, ils subsistent sous forme d'indices à demi effacés, d'effleurements et de réminiscences. Comme il en est de ces menus personnages de brume, disposés à la japonaise dans un recoin de la composition, comme traces enfantines d'abord indiscernables puis émergeant à demi, comme empreintes anciennes sur l'écorce d'un arbre. Il y a là tout un monde triste et doux, tissé en filigrane de rêveries d'enfance, de craie sur les ardoises, de
clairière et d'ombrage et parfois de partances sur des bateaux évaporés au large. C'est comme si toute une mémoire clandestine faisait retour à ses secrets d'enfance, c'est comme des fleurs laissées en signet au creux d'un livre aimé.

Ainsi les microcosmes de Claire Borde sont-ils riches d'enluminures, de hiéroglyphes et de parfums secrets, et qui font l'étrangeté de son oeuvre, son climat à la fois originel et limpide dans son apparaître, et pourtant mystérieux par ce qu'il cache et révèle à demi, comme à voix douce...


Et c'est pourquoi il me semble que l'anime une secrète confrontation, entre, d'une part, la clarté des formes légères, suspensives et qui découle à la fois de la fermeté du trait, du frémissement du coloris et du sens de l'ellipse, mais d'autre part, la spiritualité rêveuse qui les habite en secret. Et c'est peut-être cette délicate balance qui confère à l'oeuvre de Claire Borde, par delà sa fraîcheur et son charme immédiat, une beauté rigoureuse et subtile, toute en "taille-douce"


O c t o b r e   2 0 0 6 

M i c h e l   M a g n a n t


                                                                         
D a n s   l e s   a l l é e s   d u   p a r c

Longtemps je me suis promenée à l'ombre des grands arbres, suivant en leur compagnie le sentier de la mémoire.
J'ai continué à travers mes pensées dans les allées du parc, et le souvenir, au fil de l'eau m'est revenu : la langueur des après-midi d'été, le souffle ténu du vent qui rafraîchi, la musique de l'eau roulant sur les cailloux brillants, et sa morsure sur ma peau moite et collante. Voilà le goût des mûres noires dans la bouche, fondantes et sucrées, à pleine mains dans le seau, des traces à la commissure des lèvres.

Je me souviens des envies simples sitôt comblées, des joies primitives, de ce parfum de paradis, intact, sous le murmure des branches.

Je me souviens de l'enfance joyeuse, de nos visages éclatants, du soleil qui perçait par endroit les sous-bois, de l'éternité qui s'offrait, naturellement.

Je suis une petite fille, je suis une très vieille femme aux cheveux transparents ramenés au bas de la nuque dans un chignon défait. Mon visage a l'écorce des vieux chênes, il est tanné, dessiné des chemins jadis empruntés où je m'étais perdue : bienveillant aussi d'avoir vécu, chaque jour, de l'aube au crépuscule.

Je suis un saule pleureur penché sur l'eau claire. La mélancolie du passé m'emporte dans son courant. Et le temps demeure vivant comme la sève.

Dans les allées du parc, suivant les pas du promeneur solitaire, je me suis apaisée. J'ai plongé dans les eaux bleues purifiantes d'un lac et je me suis lavée, de tout ressentiment. Enfin, j'ai pu contempler la poësie du monde.

Longtemps, longtemps, je me suis promenée, guidée par les pas du pinceau.
Sous la protection d'un vieil arbre, sculpté par les vents, le soleil, la pluie, je me suis endormie.
Alors, je suis rentrée dans la terre moelleuse et j'ai rêvé...

A   C l a i r e 
S . J . ,   N  a n t e s ,   s e p t e m b r e   2 0 0 6 




J a r d i n s ,   a p r è s   l a   p l u i e 


ce sont peut-être des jardins d'imaginaire

des jardins abstraits, faits d'eau et de formes, de jeux et de contrastes, de jeux de contrastes ou de rencontres du trait et de la « flaque» de couleur


jardins sous l'eau


du fond de la mer, sans bleu



y a-t-il un mouvement


un mouvement lent d'eau



des fouillis de traits de fougères


fougères de mer, sans bleu



des jardins sous l'eau



jardins du fond de la mer, sans bleu



mouvement lent d'eau


ondulatoire



route maritime et sous bois aquatique des tropiques ?






la peinture est une question

elle interroge la surface et la profondeur, l'une et l'autre, et l'autre et l'une, et ensemble 

tissage de traits entre eux pour créer un écheveau, un labyrinthe pour le regard ou une promenade à songer, pour retenir furtivement le parcours visuel


la teinte du fond désigne l'espace après la pluie, le jardin

j'ai mis de la couleur argentée, dans le bleu-gris, qui crée des reflets et permet avec le dessin en superposition de jouer sur son apparition ou sa disparition dans le biais de la Lumière

la géométrie pointe, a toujours été présente dans les recherches, rarement montrée 

elle pointe le bout de son nez de plus en plus 
et dans ces dessins, bien en avant dans le plan

le lien entre deux éléments est prépondérant, toujours, moteur de recherche

la composition aussi est un moteur 

la composition est le silence ou encore l'espace entre les éléments 

les éléments sont un "alphabet" coloré, graphique, spatial pour des combinaisons dans le sens mathématique du terme


j'aime quand le déséquilibre fait partie de l'équilibre


la composition révèle l'importance accordée à chaque élément et à sa position dans l'ensemble 


le détail n'importe pas en tant que tel mais pour ce qu'il apporte à l'ensemble et sa justesse dans l'ensemble



la peinture et le dessin, dans ma pratique, constituent une tentative d'évoquer quelque chose du monde (de ce que j'en perçois d'objectif et de subjectif) où l'imaginaire a sa part


elle ne pose rien, elle effleure


(le plus délicat est de laisser aller la main, c'est à ce moment que c'est plus juste - je le crois, tout en mettant le vouloir en berne

la peinture désire inviter celui qui s’y attarde à la contemplation 
elle tente de lui donner accès à un champ d'intériorité dans lequel il est actif
ça n'est pas spectaculaire, surtout pas, surtout pas 

ça chuchutte


ça ne chuchote pas


ça murmure)



à  N.                                                                                                                 
C l a i r e   B o r d e






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